Partie 3 : Bhavacakra, le cercle d’interdépendance
Voici le dernier article sur la roue de l’existence. Il décrit le cercle le plus externe. Pour une meilleure compréhension vous pouvez aller lire les deux premières parties, Bhavacakra partie 1, Bhavacakra : les six domaines de l’existence.
C’est durant la nuit de son éveil que le Bouddha eut la vision de l’enchainement des causes et des effets, c’est-à-dire que les phénomènes n’existent qu’en dépendance de causes et de conditions. Ils sont interdépendants. C’est un enseignement extrêmement important dans le bouddhisme, transmis dans toutes les écoles du Nord et du Sud. Le Bouddha l’a exprimé ainsi –« Ceci est, parce que cela est. Ceci n’est pas, parce que cela n’est pas. Ceci apparaît, parce que cela apparaît. Ceci cesse, parce que cela cesse. »–
L’interdépendance ou plus précisément la coproduction conditionnée est ainsi présentée comme un ensemble de douze liens, ou maillons qui caractérise la continuité de l’existence dans le samsara*. Elle est présentée pour expliquer l’origine de la souffrance. Toutefois l’interdépendance est valable pour toute chose.
Voici la présentation
Les fondements de l’existence.
1. L’ignorance est le premier maillon et la cause racine. Elle est symbolisée par un aveugle. La lecture du cercle commence ici car c’est précisément à ce niveau que l’on peut sortir du samsara.
2. Un potier figure les impulsions karmiques qui ont pour fonction d’orienter nos réactions vers un objet, c’est-à-dire dans des domaines d’activités classés comme favorables, défavorables ou neutres. C’est la base de tout le processus du karma.
3. La conscience est représentée par un singe, c’est ce qui prend connaissance du monde, influencé par les impulsions karmiques précédentes. C’est le lien entre les existences successives.
Facteurs qui forment les conditions de l’existence présente.
4. Deux hommes, parfois quatre, sont dans une barque. La barque symbolise le corps, le nom. Les hommes figurent la forme c’est-à-dire les composés psychophysiques ou skandhas. Voir annexe.
5. Une maison prospère correspond aux cinq sens auxquels s’ajoute le mental. Ce dernier est considéré comme un sens dans le bouddhisme.
6. Un homme et une femme enlacés illustrent le contact entre l’organe et son objet, ainsi que la conscience de ce qui est vu. Par exemple, le contact de l’œil et un arbre, s’ensuit la conscience de ce qui est là.
7. La sensation est incarnée par une flèche dans l’œil. Le contact précédent a fait expérimenter du plaisir, du déplaisir ou de l’indifférence vis à vis des objets. La sensation répond toujours à un stimulus du contact.
Les causes actuelles de l’existence future.
8. Un homme ivre suggère la soif ou le désir qui découle de la sensation. Les sens sont attirés vers ce que l’on aime et, l’on rejette les sensations classées comme désagréables. C’est le maillon faible de la chaîne, l’endroit où l’on peut rompre l’enchainement du cycle des existences grâce à la pratique de la méditation et la compréhension.
9. Une personne, ou parfois un singe, cueillant des fruits illustre l’appropriation, l’attachement : s’emparer d’un objet convoité.
10. Une femme enceinte symbolise le devenir, l’attachement à l’existence ayant pour résultat une nouvelle situation d’existence.
Facteurs qui décrivent l’existence à venir.
11. Un accouchement représente la naissance. La vie revient, conditionnée par le karma.
12. Un cadavre porté à la crémation symbolise la vieillesse et la mort.
Cette présentation comme un enchaînement en douze liens, une suite chronologique, n’était pas présente dans les textes les plus anciens qui ne parlaient que huit éléments.
Conclusion
Si l’on observe le monde, on peut observer que tout est lié. Un éternuement en Chine a stoppé la terre entière. Le futur de huit milliards d’êtres humains est lié à la modification du climat ; l’alimentation est conditionnée par l’écologie. L’interdépendance peut s’appliquer à l’économie, aux relations internationales. Plus près de nous, observons l’interaction dans la famille ou bien dans notre relation avec nous-même, : si nous mangeons trop de chocolats, la crise de foie est assurée !
La roue de la vie nous montre certes que tout est lié, mais elle nous invite aussi à aller voir un peu plus loin. Toute chose dépend d’autre chose, donc toute chose est dépourvue d’indépendance. On touche ici le concept de vacuité si cher au bouddhisme et si mal compris en Occident. Si toute chose dépend des autres pour exister, on parle de nature interdépendante et par voie de conséquence vide d’existence propre : les phénomènes apparaissent tout en étant vides d’existence propre. De multiples exemples peuvent étayer cet enseignement. Le plus connu et le plus traditionnel est celui du char. Qu’est ce qu’un char ? L’essieu est-il un char ? La roue est-elle le char ? La caisse, l’étendard, le joug sont-ils le char? Ne serait-ce pas juste un mot « ce char »? Un mot qui regroupe un assemblage de différentes notions, un amas d’éléments, qui ne possède pas d’existence propre, sinon celle, illusoire donnée par son usage.
Cette notion de vacuité a donné lieu de nombreux commentaires. Ce qui est abordé ici est une esquisse de la portée que peut avoir cet enseignement dans notre compréhension, particulièrement sur l’ignorance de notre véritable nature.
Tous ces enseignements sont certes à étudier mais surtout à faire vivre par sa pratique. Peut-être que ce qui est donné de plus important de vivre, c’est d’explorer comment tout cela fonctionne !
Annie
Nous remercions Caroline pour sa relecture.
Crédit Photo: Joël Rouby, avec mes remerciements chaleureux.
Annexe
Skandha est un terme traduit par agrégat et qui signifie littéralement « tas, pile ». C’est une analyse de ce que nous appelons habituellement la personnalité. C’est un enseignement extrêmement profond que donna le Bouddha. Il est question des 5 agrégats de saisie.
Au départ il y a le corps, la forme qui est le premier agrégat. Puis le corps dans sa relation au monde ou à lui-même est habité par des sensations corporelles qui peuvent être classées comme agréables, désagréables ou neutres. Les sensations sont le deuxième agrégat. Viennent ensuite les perceptions, qui sont le lien entre le mental et les cinq sens. La pensée donne une qualité à l’expérience qui la plupart du temps, n’est pas objective. Nous allons donc chercher à garder ce que l’on considère comme agréable et repousser ce qui est considéré comme désagréable. Le quatrième agrégat appelé formations mentales, peut aussi se traduire par l’action. Poussé par les deux précédents agrégats nous privilégions certains éléments donnant ainsi une orientation, un but à nos actes. Il y a une cristallisation de plus en plus forte de l’appropriation de l’expérience. Le cinquième agrégat est la conscience. Pour être très simple, on peut dire que c’est une analyse de notre expérience totale. Je ne rentre pas ici dans la notion de connaissance (prajna) qui est complexe et dépasse cet article. Ces cinq agrégats ne sont pas à considérer de manière figée car il s’agit d’un processus.
*Samsara : notion commune à toutes les traditions de l’Inde, littéralement « existence cyclique ». . Ce qui transmigre d’une existence à une autre où le continuum de conscience, soumis à son karma renaît dans différentes conditions de la conscience.
Bibliographie
Alain Grosrey, Grand Livre du Bouddhisme, éd. Albin Michel 2007.
Philippe Cornu, Dictionnaire Encyclopédique, éd. Seuil 2001.
Tcheuky Sengué, Le temple tibétain et son symbolisme, éd. Claire Lumière 1998.
Les cours du Collège d’étude Bouddhiste que j’ai suivis durant quatre ans, avec beaucoup d’assiduité tant les cours d’Alain Grosrey étaient passionnants.