L’arbre de la Boddhi.

Avertissement  : Ce texte est entrecoupé de haïkus. Ce sont de petits poèmes en trois vers qui visent, avec le minimun de paroles, d’exprimer spontanément l’harmonie entre l’Homme et la Nature.

                                        L’arbre de la Boddhi

Etat considéré comme le plus pauvre du pays, le Bihar situé dans le Nord de l’Inde est ma destination. A la rencontre d’un des quatre lieux les plus saints du bouddhisme, retourner au pied de l’arbre de l’éveil.

          Cela faisait des années que je n’étais pas revenue dans cette région et j’étais un peu décontenancée, habitée de souvenirs d’une région extrêmement pauvre où l’on pouvait voir des cadavres dans les rues. Mais l’Inde ne s’explique pas, ne se rêve pas, elle se vit !

Je suis là, de retour sur cette terre qui offre tant de contrastes. La poussière s’infiltre partout dans les derniers moments de la saison sèche. De la terre rouge surgissent des voies rapides, deux fois quatre voies, des métros. Partout on rase, on reconstruit plus loin, on transporte du sable, de la terre, du bitume, du béton. Sur les routes, comme dans tout le pays, l’Inde d’hier côtoie celle de demain. On trouve sur les routes des chèvres, des vaches, des vélos, des motos, des hommes tirant une charrette à bras au côté des 4X4 climatisés, des bus de touristes et de « locaux », des camions petits ou gros tous très décorés, dans un joyeux mélange où les klaxons sont un code de priorité énigmatique : contraste déroutant.

Nous nous dirigeons vers Bodhgaya. C’est dans ce lieu que s’érige un arbre majestueux et puissant vénéré par les bouddhistes du monde entier, mais aussi par les hindouistes et les jaïns. La ville s’est développée tout autour. Aujourd’hui, elle regorge de monastères qui incarnent la diversité de la culture bouddhiste et des styles architecturaux propres à chaque pays. Tour du monde en quelques kilomètres : sobriété japonaise, toit doré à la feuille d’or, moulins à prières. Tant de richesse qui côtoient la pauvreté.

L’arrivée à Bodhgaya fut éprouvante dans cette Inde en pleine transformation.

            Le soleil rouge monte à l’horizon dans sa brume de chaleur et déjà le bruit, la poussière, nous avançons au milieu des marchands du temple, les malas côtoient les coussins d’assise et les pashminas.

Plus nous avançons, plus l’armée et la police sont présentes. Le jardin est clos par un mur, tel un joyau serti par une multitude de portiques, de détecteurs de métaux. Pour entrer nous finissons par une fouille : étrange impression.

Il y a quelques années, la violence du monde est arrivée jusque là. Un attentat a eu lieu au sein même de l’enceinte sans endommager l’arbre, bien qu’un engin explosif ait été placé à son pied.

L’arbre, ainsi que le temple de la Mahabodhi construit à côté, sont au centre d’un jardin tiré au cordeau, entourés de petits stupas, protégés eux aussi par un mur d’enceinte et des policiers.

Il y a 2600 ans, ce lieu était une forêt, et c’est là que Siddharta Gautama a atteint l’éveil sous un pipal –un ficus religiosa–, devenu l’un des arbres les plus sacrés de la terre, connu sous le nom de l’arbre de la Bodhi. L’arbre originel est mort, bien qu’il ait fait l’objet de toutes les attentions. Un rejet de l’arbre avait été apporté au Sri Lanka et c’est une bouture de celui-ci qui est revenue à Bodhgaya pour succéder à son ancêtre.

Beaucoup de « touristes indiens » viennent vêtus de beaux vêtements, de saris précieux pour honorer « lord Bouddha ». L’arbre est considéré comme une réincarnation de Vishnu. Il est donc intégré au panthéon indien. Il est donc un lieu à vénérer. Dans ce pays où prirent naissance des dieux innombrables, la spiritualité est là, comme un fil conducteur dans cette mosaïque complexe où fêtes et processions se succèdent.

      D’une seule source, l’éveil de Bouddha, ont jailli de multiples courants et ils sont là devant nos yeux, symbolisés par la couleur des robes monastiques : jaune, marron, ou bordeaux et par le blanc des pèlerins. Un peuple multiculturel cohabite avec les policiers qui ont échangé leurs armes contre des bâtons dissuasifs. Ici le murmure d’un mantra, là le chœur d’un groupe chantant « Om Gaté Gaté … », ici la pluie de riz qui coule sur l’enceinte du mandala, là la sueur qui perle sur les planches à prosternations.

Les minutes s’égrènent,

Le filtre du temps s’effrite,

Happée par le spectacle.

Partout, le recueillement, la ferveur silencieuse, rompus parfois par un bâillement bruyant. Les chiens méditent allongés, les oiseaux piaillent et les écureuils se régalent sur les autels, volant les offrandes sous le nez des officiants.

      Au terme de six années d’austérité sévère dans la forêt proche, Siddharta abandonna ses compagnons d’ascèse et se rendit titubant près de la rivière Nirajana qui coule dans cette région. Après avoir retrouvé des forces grâce à une jeune villageoise qui lui donna du riz au lait, il se baigna dans la rivière et comprit que les mortifications ne mènent pas à la réalisation. Il se dirigea vers l’arbre majestueux qui était tout proche. Il s’assit au pied de son tronc et fit le vœu de ne pas se lever avant d’avoir réalisé la nature de son esprit. Ce qui se produisit une nuit où la lumière de la sagesse dissipa les ombres de l’ignorance. Siddharta, du clan des Skayas, fait l’expérience du plein éveil. Il a trente cinq ans. Il devient l’Eveillé –le Bouddha Sakyamuni–.

     Pendant les sept semaines qui suivirent l’éveil, le Bouddha resta dans la profondeur de sa réalisation, qu’il vécut en différents endroits autour de l’arbre de la Boddhi.

Je me déplace

d’endroits en endroits

Dans les pas du Bouddha.

La première semaine il médita sous l’arbre.

Arbre majestueux

Ta puissance irradie,

Et soulève le cœur.

La deuxième semaine méditation debout fixant l’arbre sans ciller.

Pipa centenaire,

Habitant le présent

Intemporel.

La troisième semaine il pratiqua la marche méditative.

Marcher en marchant

Sans nulle part ou aller

Juste être là.

La quatrième semaine, au Nord-Ouest de l’arbre, il médita sur la loi de cause à effet.

Le soleil brille,

Sur le rideau de pluie

Oh ! L’arc en ciel s’évanouit.

La cinquième semaine il médita sous un banyan aujourd’hui disparu, qui faisait face à l’arbre de la Boddhi.

Sentir le poids, la densité

Sentir le souffle tenu

Immobile et vivante.

La sixième semaine, il l’a passa près d’un bassin au Sud-Est.

Le ciel azur se reflète

Dans l’étendu du bassin.

Plof, fait le poisson.

La septième semaine, au Sud sous l’arbre Rajayatna, un autre ficus.

L’espace d’un instant,

Vivre et s’ouvrir

Aimant complètement.

Dans le mordoré du soleil couchant, changement d’ambiance : tous les stupas, portiques, barrières qui entourent l’arbre sont recouverts de guirlandes de fleurs fraîches. Elles forment des rideaux métamorphosant la scène du théâtre méditatif –époustouflant–. Le son des mantras chantés au micro fait concurrence au vacarme des oiseaux.

L’ambiance bouscule. Toutefois certaines heures sont propices au recueillement.

Annie

Arbre de la Boddhi de nuit
Arbre de la Boddhi de nuit
Tronc de l’arbre de la Boddhi