Merveilleux tête à tête.

Il a suffi du passage d’un petit virus pour renverser, par inadvertance, le cours de nos vies et remettre en lumière que, oui l’expérience de la vie est pleine de changements et de moment d’insécurité. Le monde est bien mouvant dans le paradoxe de cette immobilité. Par symétrie, notre monde intérieur l’est aussi. Dans notre confinement plus ou moins de luxe, dans une journée que l’on pourrait qualifier de tranquille, n’y a-t-il pas l’ombre d’un soupçon à la vue du carton d’emballage : combien de mains l’ont touché ?

La situation inhabituelle que nous traversons peut nous apporter l’expérience de la solitude, de l’ennui, de la frustration, du chagrin, de la peur qui sont autant d’émotions tumultueuses, et notre stratégie habituelle consiste à les mettre sous le tapis ; en effet, il est difficile de rester dans le simple ressenti de ces expériences. Notre cerveau reptilien ne nous a-t-il pas appris que face au danger, au mal-être, il faut fuir ? Notre société a renforcé cette fuite en avant : la distraction prime sur le repos qui est devenu synonyme d’oisiveté. Ainsi, il nous faudrait fuir, trouver quelque chose à faire ou quelqu’un qui pourrait nous tenir compagnie.

Bien sûr, dans les temps que nous traversons, téléphoner à une personne est une façon de prendre soin d’elle, mais la lucidité s’impose : est-ce pour faire diminuer une tension interne ? Pour être rassuré ? Lui apporter soutien ? Et, s’il y a compensation, ce n’est pas un problème, pas un problème du tout. Quand on fuit la tension, c’est Ok, mais on se donne entièrement dans cette fuite. Il y a là, des informations à découvrir. En effet, si l’on fuit la sensation désagréable sans conscience, on se soustrait à l’écoute du corps, de ce qui s’y passe et nous entrons dans la sphère du mental. Donc fuir OK, mais dans une vigilance alerte en percevant de manière organique ce qu’est une fuite. Il n’y a pas à se juger, inventer ce que nous devrions faire ou ne pas faire, il n’est pas nécessaire de renforcer le personnage que nous jouons déjà. Il y a juste à constater ce qui se présente, rester en contact avec ce qui est là et être authentique avec soi-même.

L’incertitude de la situation nous tracasse, alors regardons la en face. La situation actuelle nous le suggère puissamment. Allons à l’essentiel ! La solitude épure, elle peut être, certes, impressionnante, toutefois elle nous offre l’opportunité de réfléchir aux enjeux de notre existence. Le confinement peut réveiller en nous des émotions bien enfouies. Quelle chance ! Ainsi nous pouvons observer notre scénario de près.

La solitude est une expérience que nous connaissons lorsque nous nous asseyons sur un coussin, la solitude vécue même si c’est en présence d’autres méditants.

–Merveilleux, tête à tête avec soi-même !–

Nous ignorons à l’avance ce que va nous réserver ce moment. Nous pouvons y vivre les retrouvailles, revisiter nos désirs, faire ou refaire connaissance avec nos petits ou grands démons et voir à l’œuvre les émotions qui nous traversent : agitation, paresse, ennui, peur… La plupart du temps nous nous occupons pour ne pas ressentir et nous utilisons souvent les mêmes stratagèmes pour tenir à distance ce mal-être : mais là sur le coussin…rien.

S’asseoir immobile, s’asseoir solitaire, s’asseoir assez longtemps pour pouvoir se détendre dans la solitude. S’asseoir et venir se détendre dans l’ennui de la solitude. S’asseoir et venir se détendre dans l’angoisse de la solitude. Venir se déposer dans le besoin, dans le manque affectif. Accueillir ce qui est, sans l illusion que cela devrait être autrement. Le manque affectif est un « job » pour tous : il n’y a pas besoin d’être confiné pour le sentir.

Bien sûr on se défend, on se défend même beaucoup : « cela devrait être autrement ; non, là c’est trop difficile ; c’est la faute de… ». Nous voudrions être libres de tout cela et ne pas avoir à passer par là. Pourtant, Oui il y a résistance et Oui la beauté est dans la résistance. C’est là notre humanité.

Plonger dans la réalité du besoin, se voir à l’œuvre, avec une lucidité bienveillante. Juste laisser émerger le mouvement de la conscience qui va se clarifier petit à petit, sans attendre de résultat pour autant. Il se peut que le mental s’agite, qu’il commence à mouliner et que s’infiltre le jugement « ça devrait s’arrêter ». Il est effectivement très difficile de rester sans rien faire et de rester en contact avec cela, rester dans le contact de la sensation d’enfermement, de la résistance à ce qui se présente. Difficile d’accepter de perdre toutes les élaborations que nous avions construites sur soi et sur le monde.

C’est pourtant bien là le chemin : sentir l’attente comme une émotion. A l’écoute des sensations du corps, sentir que cela bouge, les sensations apparaissent et disparaissent. A l’écoute des différents points de tensions dans le corps : « C’est où ? C’est comment ? » Jusqu’au moment où après avoir exploré les zones annexes, on découvre corporellement un nœud, et l’on plonge dedans avec bravoure, sans commentaire du mental, sans ajout psychologique. Et oui, on fait des allers et retours parce qu’on n’a pas envie de n’être plus rien de ce que l’on connaît. Ça fout la trouille ! Accueillir complètement la situation, s’accueillir complètement tel que l’on est dans l’instant, dans ce geste d’abandon et d’humilité authentique; ne plus rien prétendre : abdiquer « simplement » à ce qui est, renoncer à l’illusion d’un moi d’un autre.

Alors dans l’approfondissement de cet état, surviennent de courts moments d’ouverture paisibles et lumineux, un bien être sans motif, sans demande. Il y a découverte que ce corps physique(,) que l’on croyait limité, est ouvert et de ressentir l’espace qui n’a besoin de rien et qui nous traverse. Espace sans limite, espace du cœur diront certains, espace de vacuité-plénitude diront d’autres. Abhivanagupta parle de Vimarsa « toucher ou entrer en contact avec discernement » avec Prakasa la « lumière irradiante ». Le monde n’est ni extérieur à sa source, ni différent en essence, nous enseigne le sage du Cachemire.

La régularité de la pratique permet que ces moments fassent « tâche d’huile » cette tranquillité va résonner à d’autres moments de la journée, comme un appel.

Ce printemps est si beau, alors comme le dit un proverbe japonais : « Assieds-toi et écoute l’herbe pousser ».

 

Namasté

Annie