Les arbres sacrés de l’Inde

Cet été torride 2022, avec son lot d’incendies dévastateurs, met en évidence la magnifique richesse que nous avons sous nos yeux : les arbres. Ils sont si familiers de nos vies, de notre quotidien qu’on pourrait les oublier, ils offrent leur cime et nous procurent leur ombre bienfaisante. Ils sont un refuge de biodiversité, fournissant l’habitat et le garde manger aux insectes, oiseaux et autres petits mammifères. Pour freiner le réchauffement climatique et absorber la pollution, les Nations Unies incitent les métropoles à planter des arbres.

      Honorons-les, respectons-les !

L’arbre est un symbole et un des thèmes les plus riches et les plus répandus. En dépit de son apparente inertie, il représente la vie en perpétuelle évolution, en ascension vers le ciel : c’est un symbole de verticalité, de stabilité.

Il révèle aussi le caractère cyclique des saisons en symbolisant la mort, la renaissance et la continuité.

Tout comme dans la métaphore du lotus, bien connue en yoga, l’arbre met en relation l’invisible et le visible, et relie les éléments. L’invisible à nos yeux puisque ses racines souterraines plongent dans la terre et que l’eau de sa sève circule secrètement. Le visible et l’aérien puisque son tronc s’élève dans l’air et sa cime se déploie dans le ciel. Tel un pont entre le ciel et la terre, il s’impose comme le symbole de la force tranquille.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce thème en visitant les différentes traditions du monde, ou en s’intéressant à une espèce particulière, mais pour rester en lien avec la patrie du yoga, je vais évoquer les arbres et la particulière dévotion qui leur est rendue en Inde.

L’origine remonte à la civilisation védique où la nature était vénérée, les rivières, les montagnes, les grottes étaient des déesses, et les arbres des puits de vie. Tout naturellement, l’arbre a gardé son importance dans l’hindouisme, le bouddhisme et le jaïnisme, traditions qui ont éclos sur ce terreau. D’après les Puranas qui sont des textes qui traitent de légendes, de mythes, mais aussi de réflexions poussées notamment en médecine, les arbres sont décrits comme étant capables de connaître le bonheur et de ressentir du chagrin.

La vénération des arbres est très commune en Inde. Sur ce continent où l’urbanisme est parfois galopant, il n’est pas rare de voir une manifestation pour « défendre un arbre » qui risque d’être abattu, car il a poussé à l’emplacement d’une nouvelle route. Parfois, cela aboutit à des situations cocasses, et l’arbre se retrouve finalement au milieu de la chaussée. Lorsque l’on regarde en ville, on voit des murs de clôture non achevés ou en train de tomber. Il faut se retenir d’émettre un jugement hâtif. En effet les arbres traversent les murs et il ne viendrait à l’idée de personne de couper l’arbre puisque certains temples sont construits autour d’arbres.

Dans les campagnes, il est courant de voir des arbres entourés d’écharpes de couleur. En s’approchant, on peut remarquer de petites statues coincées dans leurs branches ou leurs racines. On voit également de petits autels, souvent assez discrets à leur pied. Ils sont là pour vénérer les esprits de la nature appelés yakshas qui habitent l’arbre. En les honorant ainsi les villageois espèrent s’attirer les bonnes grâces de ces esprits. L’arbre est un symbole de fertilité, et avant un mariage, la future épouse se marie d’abord avec un arbre avant d’épouser son mari.

Certains textes hindous relatent que Garuda, l’oiseau mythique véhicule de Vishnu, aurait renversé quelques gouttes de l’élixir d’immortalité sur la terre alors qu’il s’envolait vers les cieux. Un arbre aurait poussé là, né de cet élixir. L’arbre de vie reprend la triade hindoue : les racines sont Brama, le tronc est Shiva et les branches représentent Vishnu.

En Inde, plusieurs espèces d’arbres sont particulièrement sacrées.

Le premier est le neem car il est habité par le dieu de la médecine Dhanvantari (l’un des avatars de Vishnu). Ses feuilles sont utilisées en poudre ou en décoction dans la médecine ayurvédique.

Le deuxième est un arbre insolite nommé banian. Ses branches aériennes tombent au sol et s’enracinent à leur tour. Symbole de longévité, il est l’arbre national de l’Inde.

Le pipal ou ficus religiosa, encore appelé arbre de la Boddhi, est connu car c’est à son pied que le futur Bouddha est venu méditer. Il est aussi honoré par les Hindous pour être le domicile terrestre du dieu Vishnu. Pour en savoir plus sur l’arbre de la Boddhi, vous pouvez lire l’article, https://www.lessensduyoga.fr/larbre-de-la-boddhi/

Il existe un arbre à part dont les fruits sont plus connus que l’arbre lui-même. Avez-vous entendu parler du Rudraksha, de son nom latin Elaeocarpus ganitrus ? Rudra-Aksha, signifie « œil de Rudra ». Rudra est l’un des noms de Shiva.

Il existe plusieurs espèces qui poussent dans de nombreuses régions d’Asie et bien sûr en Inde. Malheureusement, cet arbre a été trop exploité pour fabriquer les traverses de chemin de fer. Ses graines sont traditionnellement considérées comme sacrées dans l’hindouisme. Elles sont utilisées pour faire les malas, colliers ou chapelets de 108 perles surmontées d’une autre qui permet de les rassembler. Les malas sont employés dans de nombreuses pratiques spirituelles, principalement pour accompagner la récitation de mantras. On attribue des vertus bénéfiques et bienfaisantes aux graines de Rudraksha qui émettraient des ondes électromagnétiques lorsqu’on les porte sur soi. Leur rayonnement renforcerait notre propre champ énergétique.

Les pouvoirs que l’on attribue aux graines de Rudraksha varient en fonction du nombre de facettes des grains.

La plus commune présente cinq facettes et est liée à Shiva car cette divinité a cinq grandes fonctions : il est le créateur, le préservateur, le transformateur, le dissimulateur et le révélateur par sa bénédiction. Donc tout naturellement les graines à cinq facettes prolongeraient la vie, donneraient paix et force intérieure.

Les Rudrakshas à six facettes sont également assez fréquentes et liées au dieu de la guerre Karttikeya*. Karttikeya est l’un des fils de Shiva. Il est connu comme le dieu à six visages et est le chef de l’armée des Dieux. Sa force est au service de la stabilité du monde.

Les Rudrakshas à six facettes apporteraient la stabilité et aideraient à la libération des tendances négatives.

On trouve des Rudrakshas de couleurs différentes, mais on peut regretter que le marché indien soit envahi par de fausses Rudrakshas en plastique, vendues aux portes des temples !

L’article ne serait pas complet sans parler de Kalpavriksha (ou Kalpataru, kalpadruma, kalpapadapa), l’arbre sacré éternellement vert dont les fleurs parfument le monde. Il apparaît du barattage de la mer de lait*, l’un des mythes cosmologiques de l’Inde.

Actuellement dans beaucoup de villages, « l’arbre qui exauce les souhaits » n’est pas une espèce précise, il est souvent l’arbre le plus ancien. On vient lui confier ses demandes, ses désirs, ses aspirations voire ses ambitions. C’est une façon de s’en remettre à plus grand ou plus invisible.

Cette tradition s’est transposée dans le bouddhisme en « arbre du refuge ». En fonction des courants, sa fonction est de représenter la lignée de transmission par laquelle l’enseignement est arrivé jusqu’au pratiquant. Celui-ci peut ainsi le visualiser sous la forme d’une thanka*.

Confier ses souhaits à un arbre est une façon de « jouer » avec ses pensées, de les orienter, une façon de reprogrammer le subconscient. N’a-t-il pas fallu baratter l’océan de lait pour en faire remonter ses trésors ? De manière plus profonde, c’est peut-être le moyen de reconfigurer notre cerveau vers ce qui nous apporte plus d’énergie, plus d’inspiration, plus de paix de joie. Les travaux sur la neuro plasticité du cerveau le prouvent. Vous pouvez lire l’article l’arbre à souhaits.

  Honorons les arbres dans notre pratique du yoga.

En Yoga, une notion est proche de « l’arbre aux souhaits » et correspond au Sankalpa. Ce mot désigne une « parole porteuse d’un vœu profond, qui englobe l’être dans sa complétude ». Il s’agit d’une phrase choisie avec soin et qui est prononcée soit au début soit à la fin du Yoga Nidra. La relaxation induit un état de grande réceptivité. Il y a une suggestion consciente vers le subconscient. Une auto suggestion à utiliser avec doigté puisque le Sankalpa nous dirige intentionnellement vers un but. Dans le yoga traditionnel, l’aspiration finale du Yogi est bien entendu, l’union avec le Soi.

Il y a autant de brins d’herbe différents qu’il y a de voies en yoga et ce, pour répondre à la diversité des êtres.

Dans la perspective du yoga du Cachemire, voie non duelle, tout est déjà là. Il n’y a pas d’endroit où aller pour obtenir l’unification, pas de demande à faire. Il n’y a pas d’objectif auquel le corps-esprit doit se conformer. Il y a simplement à se mettre à l’écoute de ce qui est, instant après instant.

Ainsi, quand la posture de l’arbre prend forme dans le corps, le ressenti qui émerge est écouté. On pourra, par exemple, débuter par la sensibilité du pied qui est au sol dans la fraîcheur de la découverte, sans la mémoire de ce qu’est un tapis de pratique ou le sol. La sensation est un moyen de quitter le mental, de quitter le connu. L’écoute se déploie progressivement à tout le corps, l’espace porte particulièrement les bras.

Écouter sans vouloir autre chose que ce qui se présente. Ressentir en direct les tensions dans les pieds ou dans les épaules qui vont et viennent, ressentir les micro oscillations que fait le corps au rythme de la respiration, explorer sur le vif, l’attention qui est sans cesse attirée par ce qui bouge, pensées ou émotions. Progressivement l’écoute va devenir globale et le mental disparaît au profit de la sensibilité. L’union avec l’environnement se fait intimement. Derrière la sensation, c’est l’arrière plan qui est écouté. Il n’y a plus une personne qui pratique, mais la Vie qui pulse, sans intérieur ni extérieur.

Se poser dans l’immobilité tel un arbre c’est renouer avec l’intelligence sensible que nous partageons avec toute la création.

Se poser tel un arbre c’est se mettre en symbiose avec la qualité de son silence.

« S’asseoir » dans la posture de l’arbre nous permet de « voir » au-delà du visible et « d’écouter » que le silence demeure toujours présent dans l’arrière-plan car il est notre nature profonde. Les mots sont pauvres il n’y a rien à voir ni écouter, car tout se dissout dans la Conscience.

Honorons donc les arbres, et à travers leur présence, honorons l’enseignement qu’ils nous transmettent.

Namasté

Annie, relecture Caroline.

* Karttikeya est l’un des fils de Shiva. Karttikeya ou Murugan, particulièrement nommé ainsi dans le Tamil Nadu, est surtout connu comme le dieu à six visages. Il a vaincu le démon Tarakasura et est devenu le chef de l’armée des Dieux

* « Pour récupérer le nectar d’immortalité qui se trouvait au fond de la mer de lait, les dieux et démons, qui luttaient pour la maîtrise du monde, décidèrent de s’allier. Ils barattèrent l’océan avant que la coupe d’amrita (nectar d’immortalité) ne sorte plusieurs objets dont l’arbre à souhaits. »

*Thanka : motif religieux bouddhiste peint sur une pièce de tissu.

Article paru dans Infos Yoga n° 139