Les lendemains de fête

L’euphorie de la fin d’année et son cortège de cadeaux, de repas, de souhaits, de résolutions, est passée. Peut-être y a-t-il un léger sentiment d’insatisfaction, une forme de désenchantement après la magie, un vide qui n’a pas été comblé.

Cette sensation d’insatisfaction, tout le monde la connaît, plus ou moins. Elle est vite évacuée par un petit coup de téléphone, ou sous la couette devant la dernière série, par une course à vélo ou un achat « compulsif » – c’est bientôt les Soldes–, voire un carreau de chocolat ou un petit verre d’alcool. La liste n’est pas exhaustive. Vite, trouver quelque chose pour que la tension s’apaise ! Mais elle reviendra cette sensation de vide –tension–, que l’on comble par un objet externe –détente–, comme un cercle sans fin, épuisant et insatisfaisant.

Aborder l’insatisfaction n’est pas très prisé actuellement, pourtant tous les enseignements traditionnels en parlent. En yoga il est question des cinq Kleshas qui sont les afflictions vécues par l’Homme au cours de sa vie. Le premier d’entre eux est la racine des quatre autres : c’est l’ignorance. L’Homme ignorant de sa véritable nature cherche à l’extérieur comment combler son mal-être. Dans son premier enseignement nommé Les quatre nobles réalités ou vérités, le Bouddha nous éclaire sur les différents niveaux d’insatisfaction que l’on peut ressentir. L’Éveillé nous décrit trois sortes de mal-être, allant de la souffrance la plus grossière que l’on expérimente tous : la naissance, la maladie, la vieillesse, la mort. Un deuxième niveau plus subtil est lié au changement, à la perte : ne pas obtenir ce que l’on désire, être séparé de tout ce que l’on aime. Cet aspect est abondamment présent dans en littérature. Le troisième plus subtil encore, est le mal-être existentiel, c’est une frustration latente, imperceptible que l’on ressent comme une incomplétude, une séparation.

Une connaissance en accord avec la réalité éclaire notre compréhension, et nous aide dans la pratique. En effet, on ne peut pas dérouler son tapis tous les jours sans se rencontrer intimement, c’est impossible. Il est facile de faire des postures voire de méditer et une fois la séance achevée, retourner se distraire, s’éviter, s’enfuir de soi-même. Si faire des postures, de la relaxation, de la méditation apporte du bien-être c’est excellent. Toutefois le yoga est alors pris comme un objet de consommation de plus –tendance qui s’accélère en Occident– et la petite graine d’insatisfaction reste toujours là. Or, nous faisons du yoga pour devenir de plus en plus conscient de ce qui se passe dans notre corps et dans notre esprit.

Alors quelle pratique pour me libérer de mon ignorance ? Que faire pour ne plus sentir ce manque? Rien. Surtout Rien, pas de dynamique vers quelque chose dit Eric Baret, pas même avoir le désir d’apaisement. La première étape est de reconnaître qu’il y a un malaise puis partir à sa découverte dans la réalité de chair. Certes, ce n’est pas forcément facile et tellement inhabituel de rester ainsi dans le malaise que l’on tente généralement d’esquiver.

D’autant plus qu’il peut y avoir méprise, car la perception de la sensation et son interprétation sont pratiquement simultanées ; très proches, si proches l’une de l’autre que l’on éprouve l’impression puissante mais erronée que la réalité interprétée comme « mauvaise » et que « J’ai » mal, sont la réalité. La réalité est ce qu’elle est. Asseyons-nous au milieu de notre chaos de tensions, d’agitation, de peur et écoutons sans nous raconter d’histoires sur « ce qui est ». Il est intéressant d’explorer ce territoire de peur, de tensions qu’est le corps. Il est pertinent d’observer la méprise d’un « Je » qui souffre. C’est le cadeau que nous offre la Vie. Alors peut-on accueillir ce cadeau ? Nous avons le choix. Si c’est trop difficile, nous pouvons essayer de rester avec ce ressenti corporel étiqueté comme difficile pendant deux ou trois expirations en nous donnant complètement à cette expérience, puis arrêter et se féliciter de ce que l’on a pu découvrir. Attention pas de malentendu, ce n’est pas une voie doloriste.

Une insatisfaction n’est pas quelque chose de statique : qu’elle soit ténue ou intense, elle bouge et se cache : merci la Vie. Goûter ce qui est vécu comme « une tension » et laisser de côté l’étiquetage « inconfortable ». Accueillir précisément « ce cadeau d’insatisfaction », c’est trouver en soi la capacité d’ouvrir totalement son esprit et son cœur à ce qui est. En effet, chaque résistance est une occasion d’aller au delà pour nous révéler notre véritable nature. « Tout ce à quoi l’on résiste… persiste et tout ce que l’on embrasse… s’efface » disait Carl Jung qui pratiquait le yoga. Insatisfait et vivant, afin que ce qui parait être en contradiction puisse se rassembler et s’ouvrir à la plénitude. C’est peut-être ce que l’on appelle le lâcher-prise, cette grande clé de la vie intérieure.

Décidement les lendemains de fêtes donnent bien des surprises à qui veut les entendre.

Namasté

Annie