Le contentement, santosha

Dans la période précédant les fêtes de fin d’année, qui s’accompagnent parfois d’un déluge de cadeaux et de nourriture, j’avais ouvert une réflexion avec les élèves sur le contentement. Nous l’avons abordé en cours, d’une façon douce et progressive, en parlant des Yogas Sutras de la Bhaghavad Gita. Aujourd’hui le confinement m’offre l’occasion de partager sur ce thème, et c’est de manière plus directe que je viens vous interpeler.

Santosha (sk), le contentement, la gratitude, est connu des yogis car il fait partie des Yogas Sutras, écrits par Patanjali : c’est un texte traditionnel du Hatha Yoga. Ces aphorismes nous conduisent le yogi de sa condition ordinaire, vers l’accomplissement total appelé Samadhi, c’est à dire sa nature ultime ; c’est une voie progressive. D’autres écoles, comme le tantrisme cachemirien, parlent d’une réalisation subite et parfois définitive, c’est une voie directe. Le propos n’est pas ici d’opposer ces deux points de vue, mais de progresser dans la compréhension de notre humanité.

Santosha est abordé dans la deuxième section des Yogas Sutras, la relation à soi ; en voici une traduction :

« Grâce au contentement, nous atteignons un bonheur insurpassé » (Aphorisme II-42). Voici qui a de quoi allécher !

Mais qu’est-ce que le contentement ?
Le contentement traduit la satisfaction, un sentiment de plaisir intérieur, cela traduit plus particulièrement la satisfaction par rapport à quelque chose de voulu, de désiré : être satisfait d’un but atteint, de l’effort accompli qui a permis de réussir, du désir comblé. Il peut aussi, s’agir d’une chose vécue par une personne qui est importante à ses yeux. Lorsque Santosha est là, il y a une sorte de détente intérieure qui se produit. Le contentement peut bien sûr se présenter dans toute une gamme d’intensité.

Allons un peu plus loin…

Dès que l’on s’interroge sur le contentement c’est notre rapport à la possessivité qui est aussi interrogé. Qu’est ce que posséder quelque chose ? Qu’est ce que je désire vraiment ?

Lorsque l’on est petit, nous voulons un jouet, et lorsque l’objet est dans les mains on est content, heureux ; puis l’enfant perd l’objet et il est malheureux. En grandissant et c’est variable selon les personnes les lieux etc, mais globalement nous souhaitons : une bonne situation, une voiture, un conjoint, des enfants, la santé, quand on les a on est content, heureux. Mais on se rend compte que la voiture tombe en panne, on perd son emploi, les enfants s’en vont, la maladie arrive, on vieillit et on est mécontent, malheureux. Si nous observons l’expérience que nous vivons, depuis notre enfance, nous croyons que c’est à travers les objets extérieurs que nous pouvons être heureux ; il y a là une méprise. Ce qui est recherché dans les objets extérieurs n’est pas l’objet lui-même, mais la satisfaction interne qu’il produit, du moins provisoirement. Ce qui est cherché, c’est la détente interne, ce passage éphémère de félicité (j’ose le mot). Il est donc urgent d’aller dans une juste perspective : l’objet convoité ne l’est qu’en vue de l’état intérieur de contentement qu’il procure. C’est cet état de plénitude, de paix profonde qui est recherché, tout le reste n’est que compensation externe, mais le contentement n’est pas à l’extérieur, il est en nous. Ce qui est cherché c’est cette Conscience, dans laquelle nous baignons, c’est elle qui perçoit, qui est le « connaisseur » de ces états.

Alors peut être à chaque fois qu’un désir monte, nous pouvons nous poser la question : « est-ce que c’est cela, qui me rend heureux ? » Peut être que d’autres choses vont apparaître et encore : alors doit-on être sans arrêt dans cette fuite en avant ? La maturité sera de se poser la question : « Qu’est ce que je veux vraiment ? »

Alors dans cette période de confinement, accepter les choses telles quelles sont, sans se laisser émouvoir par ce qu’on aurait préféré, est un grand enseignement. Il ne s’agit pas de nier nos désirs, mais juste de reconnaître que nos déceptions sont des jalons importants dans l’évolution. Santosha, c’est l’art de se réjouir de ce que la vie nous offre. Dans ce moment encore plus que dans d’autres, où il y a une privation des objets extérieurs, savourer le simple plaisir de la chaleur du soleil sur la peau, même si ce n’est que par une fenêtre ouverte, observer l’oiseau qui passe, une fleur, fût-elle un pissenlit. Nous pouvons aussi être heureux et reconnaissant envers des personnes qui sont autour de nous, même si c’est à travers un texto, un mail. Acceptons de recevoir de la part des autres et remercions-les ouvertement pour cela.

Nous pouvons aussi ressentir de la gratitude pour des personnes que l’on ne verra jamais et qui rendent notre vie plus acceptable : les routiers, les caissières, les femmes de ménage dans les hôpitaux et bien d’autres. Nos actes ont une incidence sur la vie des autres : la façon dont nous recevons et réagissons résonne dans la vie d’autrui. Le covid-19 nous donne un rappel fort. Se sentir ainsi reliés les uns aux autres nous fait revenir à l’essentiel : la notion d’interconnexion, d’interdépendance.

Je finirai par une phrase de Christophe André, psychiatre et enseignant la méditation à l’hôpital Saint Anne à Paris, de son livre Et n’oublie pas d’être heureux, abécédaire de psychologie positive.

« Etre content paraît quelque chose de moins fort et moins noble qu’être heureux. Plus léger, plus puéril ; les enfants ne disent pas en croisant quelqu’un : « il n’a pas l’air heureux, le monsieur », mais : « il n’a pas l’air content. » Le contentement n’a pas le prestige du bonheur. C’est peut-être sa grande supériorité : être content, c’est être heureux juste à cet instant, sans en attendre plus, sans en demander plus à la vie. »

Namasté, Annie