Sur les traces du sacré

Au Népal, le Mustang est une région unique à nulle autre pareille, d’ailleurs est-ce vraiment le Népal ? Tant ce pays représente une anomalie culturelle, géologique ; les très nombreuses habitations troglodytes creusées dans les falaises, donnent le goût du caché, du secret, du mystérieux.
 Sur les chemins du pays de Lo, il fait grand beau, le ciel est d’une limpidité incroyable. Le calme est total et une douce sérénité nous accompagne. La rivière Kali Gandaki, est comme un fil rouge ; fil ténu qui relie le bas et le haut de cette région, depuis la nuit des temps ; et auprès d’elle ces bourrasques de vent, si violentes, qui s’engouffrent chaque après-midi. Le temps s’écoule doucement. La vie va décrescendo en cette fin d’automne. Toute la vie ? Bien sûr que non ! Seuls les notables se sont réfugiés en des lieux plus cléments. Dans chaque village, la vie suit son cours immuable, simplement au ralenti. Les travaux des champs sont en train de se terminer, les récoltes presque finies. Les hommes sont dans les champs l’un tire le dzo, et l’autre pousse le soc. Sur un toit, une femme trie des lentilles à l’abri d’un muret, geste ancestral, à côté de l’antenne satellite. A l’angle d’une ruelle, de vieilles femmes regardent la vie qui passe en tissant la laine. Au premier rayon du soleil, des enfants jouent dehors, poussant une roue en fil de fer, en guise de cerceau. Tout change à la fin du jour. Les hommes poussent les troupeaux de chèvres pashmina vers l’étable, avant qu’un froid sidéral tombe des étoiles. Le guide nous raconte la vie du Mustang. L’électricité qui arrive, les camions le long de la Kali Gandaki, la route qui arrivera bientôt à Lo Manthang la capitale, si la nature l’accepte. Nous sommes là, sereins. Avec ce sentiment rare d’être accueillis avec bienveillance. Les gens ont le temps, pour eux et pour nous. Un événement viendra confirmer la qualité de ce voyage à contre-courant.

Drakphuk Konchok Ling. Ce nom ne vous dit rien ?
 Pourtant c’est l’endroit le plus fabuleux du Mustang. En 2007, la première information sur la découverte d’une nouvelle grotte exceptionnelle, au Nord de Lo Manthang n’a pas échappé à la curiosité de quelques découvreurs, marcheurs de l’impossible. Avec le temps, les informations sont devenues plus précises. Certains voyageurs racontaient même qu’ils avaient frôlé la mort en se rendant sur place, tellement le lieu était inaccessible ! Aller dans cette grotte, attirée comme un aimant. Pour le guide, ce n’était qu’une grotte de plus, une lubie de touristes. Le site de cette grotte est fabuleux et le chemin qui y conduit, est un cheminement intérieur soutenu par une lumière exceptionnelle et une solitude rare : une initiation. 
La journée est d’une douceur inespérée. Le froid de l’hiver qui approche, laisse des cristallisations de diamants sur le bord des ruisseaux. La morsure du froid ne refit son apparition qu’avec le coucher du soleil. Le bleu du ciel, d’une pureté incomparable, distillait une lumière cristalline. Quel plaisir de marcher dans ces conditions. Le chemin est au départ bien tracé et large, permettant même le passage des chevaux, puis il se perd dans un désordre géologique ou la Vie s’accroche au repli de la terre, un dédale de cheminées de fée, de falaises en éboulement, de canyons, aux couleurs irréelles, incroyables mariages de nuances, des rouges brique, des blancs, de l’ocre, des gris bleus. La montée est un enchantement, un cheminement dans la beauté, une montée abrupte certes, une immersion dans le monde minéral, dans la puissance des éléments. Arrivée sur la crête, le souffle court par l’altitude la vision est très surprenante, car en regardant mieux, il y a d’anciennes fortifications, des chortens, des inscriptions gravées dans la roche en tibétain, indiquant la sacralité du lieu. Qu’est ce que la confiance dans la déambulation sur l’arête finale, avec ces 900 m de précipice de part et d’autre ? Qu’est ce que la confiance, accroché à cette main courante de câble entouré de peau de chèvre qui permet la descente dans le passage très escarpé ?

Une petite remontée par un sentier exposé, participe encore plus au mystère et à l’exceptionnalité du lieu, il nous amène par-dessous la grotte. Elle est là : La Grotte, ou plutôt ce qu’il reste, car l’auvent s’est effondré, elle est maintenant protégée par un ridicule grillage, qui en défend l’accès, sur lequel sont accrochés des katas déposées par la dévotion des pèlerins. Elle consiste en un mur de 7,5 m de long couvert de 55 panneaux, de représentations bouddhistes de facture indienne, de style Pala datant du 12ème siècle. Silence, bonheur profond, émerveillement, pour l’heure seul compte l’instant présent. Dans ces cavernes presque inaccessibles, au bout du monde, à la croisée des dix directions et des trois temps ; des moines, des artistes ont vécu, ont médité autour de stupas sacrés. Ils ont peint des fresques d’une délicate beauté, comme un effleurement sur la roche. Lieu singulier à la lisière de l’espace et du temps, comme une piste d’envol ou le rêve se libère… Déjà une pointe de nostalgie taraude le cœur dans l’étrange sublimité du lieu. Pour, finalement, comprendre que tout n’est qu’impermanence. Konchok-ling est condamné à disparaître à brève échéance. Tout va disparaître bientôt et en particulier ces peintures murales si raffinées. Les dégradations sont visibles et irréversibles. Les possibilités de restauration ou même de protection ? « Trop loin, pas assez de visiteurs, trop complexe en logistique, trop coûteux aussi ». Alors, intégrer :

Tout ce qui a été construit, s’écroule ; aussi beau, aussi subtil soit-il.

Tout ce qui est composé, se décompose ; comme le chorten qui devient sable.

Tout ce qui naît, meurt ; comme ce lieu, comme ce corps.

Tout ce qui est réuni, se sépare ; avec le déchirement de quitter cet endroit.

                                  L’harmonie seule, demeure, tant que le chemin sied au pèlerin.

Annie