De l’art de se déposer sur le tapis

De l’art de se déposer sur le tapis.

La pratique telle qu’elle est envisagée propose un retour à soi. Il s’agit de trouver une disponibilité réceptive, une attitude d’accueil bienveillant à ce qui est. Alors comment ?

     Nous utilisons les postures, le pranayama, les mudras, les bandhas, connus en hatha yoga, cependant, la manière de les aborder est différente : il s’agit d’accueillir le corps, d’accueillir la sensation. Ce qui caractérise cette démarche est l’insistance sur le sens tactile, les sensations et, pour sentir, il est nécessaire de se rendre disponible ; arrêter de faire, d’agir, particulièrement dans les postures, arrêter de vouloir plus ou mieux. Cela n’empêche pas la précision, l’intensité, l’implication, mais dans un grand respect du corps que l’on a.

     Habituellement dans la pratique, pour sentir le corps nous l’étirons, le poussons, mais, plus le muscle est sollicité, moins l’énergie circule, de plus, la sollicitation musculaire renforce les schémas, les conditionnements, renforce notre individualité. Donc pour s’installer dans la posture nous utilisons le moins d’effort musculaire possible ; nous abordons la posture sans aller au delà des possibilités du corps et nous restons même un peu en deçà, – je peux aller plus loin, je vais moins loin –. Nous essayons donc de travailler « à vide », c’est à dire sans dynamisme psychologique, dans un lâcher-prise, sans vouloir « tenir » une posture, sans commentaires, sans jugements. Il s’agit de passer du faire, à l’être. Cette manière d’aborder la posture permet une meilleure circulation de l’énergie et libère ainsi les schémas, les nœuds enkystés. La fasciathérapie fonctionne de la même manière.

     A travers le ressenti et l’écoute du corps, il y a la découverte de la richesse et de la subtilité de ce qui traverse le corps : lourdeur, légèreté, volume, élasticité etc. Les pensées, les émotions, ne sont plus pensées mais vécues sensoriellement et sans vouloir changer quoi que ce soit, sans interprétation. A travers les limitations que nous rencontrons, se sont les représentations habituelles du corps qui sont questionnées. Comment accueillir une tension sans être tendu ? C’est notre relation à la posture qui est questionnée.

     Ainsi en écoutant et en laissant vivre les mouvements sensoriels, l’attraction de la pensée est désinvestie naturellement, certains conditionnements limitants tombent : comme les conceptions sur le monde, les projections mentales et, surtout, l’identification au « moi Je » diminue. Le silence nait, une sensation de vacuité apparaît. Le corps vécu dans le silence est lieu de conscience. Ainsi la conscience va pouvoir s’ouvrir comme s’ouvre une fleur à la lumière.

     Par le pranayama, c’est l’énergie de vie qui est touchée, la vibration au niveau de la tête apparaît c’est une plongée au cœur de la vie qui nous traverse. Plongée également entre deux respirations, en effet lorsque nous sommes attentif, entre l’inspir et l’expir il y a naturellement des temps de suspension (qui ne sont pas bloqués), il s’agit de se poser dans cet entre-deux. Ces temps vont devenir naturellement de plus en plus longs, ainsi le silence s’installe. Dans ces espaces nous trouvons un apaisement, une tranquillité, mais qui n’est pas inerte, il y a plénitude. Une fois découvert entre deux souffles, cet espace pourra se sentir entre deux pensées, mais aussi hors de notre tapis de pratique, à la tombée du jour, au lever du soleil etc. Cet espace apparait, comme une percée entre deux moments ; espace qui ne sépare pas mais qui au contraire relie. Le silence qui est là, cette présence tranquille à soi et au monde, c’est peut être cela que l’état méditatif.

     Eric Baret * dit « que le yoga ne sert à rien », en effet dans tout art traditionnel et sacré, il n’y a pas de but fonctionnel, c’est-à-dire nulle recherche de santé, de souplesse ou autre. Le yoga est un art, c’est une offrande à la Vie, un remerciement à la beauté du monde.

     Peut-être sur le chemin surgira la question du « qui suis-je ? » Non pas, quelle est mon identité familiale ou sociale ou les caractéristiques de mon ego, mais plutôt comment « je » m’inscris dans le macrocosme, comment vit le microcosme que « je » suis ? Quelle est « ma » véritable nature, sans mien ni moi ?

Le tapis est l’ami qui nous aide à faire le retournement de notre attention pour découvrir cet espace dynamique ouvert et lucide duquel nous apparaissons.

Namasté Annie

Eric Baret a été le disciple de Jean Klein, il enseigne le yoga tantrique de la tradition du Shivaïsme du Cachemire.