Le sentier de Samatha ou comment trouver le calme dans la méditation

Le Laddakh est la terre des gompas, –les monastères bouddhistes. Lors de notre pérégrination au « petit Tibet », nous en avons visité de nombreux. Ils sont remplis de statues, de bannières de la victoire ainsi que de tous les objets rituels. Il n’existe pas un recoin de ces temples qui ne soit pas peint, des murs aux piliers. Les motifs sont extrêmement variés, parfois décoratifs avec les signes auspicieux ou représentant des scènes de la vie du Bouddha ou de grands maîtres du passé. Les peintures que l’on peut admirer ont une double vocation. Bien sûr celle de décorer, mais elles sont également une manière imagée d’enseigner le dharma – c’est à dire l’enseignement du Bouddha–. Hormis les lamas et les classes aisées, la population était analphabète et l’image était un outil pédagogique.

L’antichambre qui ouvre sur le temple principal, sépare l’extérieur et l’intérieur, le profane et le sacré, le samsara et le nirvana. En ce lieu, on retrouve les quatre protecteurs, fiers et farouches gardiens de la porte du lieu sacré, et systématiquement deux fresques murales : la roue de l’existence, ou roue de la vie (bhavacakra) et le sentier de Samatha. Plusieurs articles vont être consacrés à ces deux peintures.

le sentier de Samatha

Le « chemin de Samatha » est une représentation imagée du cheminement intérieur d’un méditant. Samatha [en sk et pali Shiné en tib] signifie littéralement « demeurer dans la paix » et est souvent traduit par « rester tranquille ». C’est la pratique fondamentale de la méditation. Rester tranquille, c’est ne plus s’agiter. Cela peut sembler une banalité, pourtant on s’agite beaucoup pour essayer de rester tranquille, surtout sur un coussin de méditation !

La représentation du sentier se lit de bas en haut. On y voit un chemin qui monte avec des virages, et ponctué de différentes scènes. Les personnages qui empruntent ce sentier sont un moine, un éléphant dont la couleur évolue au fil du chemin, un singe ainsi qu’un lièvre. Autour du chemin se trouvent des flammes et différents objets, plat de nourriture, conque, petite cymbale, miroir. Ici, tout est symbole.

Les protagonistes

  • Le moine représente le méditant. Il tient dans sa main une torche. Parfois il s’agit d’un crochet et un lasso. La torche ou le crochet figure l’attention qui doit se mettre en place pour méditer et le lasso incarne le rappel. L’attention et le rappel sont les deux instruments dont le méditant a besoin pour la pratique.
  • L’éléphant représente l’esprit du méditant que l’on cherche à calmer. Lorsque l’éléphant est gris cela évoque un état de torpeur ou d’opacité mentale, lorsqu’il est blanc le méditant est libéré de cet état.
  • Le singe représente l’agitation mentale, la dispersion, les sentiments égotiques.
  • Un lièvre symbolise une forme subtile de torpeur.
  • Les objets autour du chemin représentent les objets sensoriels : saveur, odeur, etc. qui peuvent perturber la médiation.
  • Les flammes sont l’énergie nécessaire pour pratiquer.

Le sentier

Le sentier comporte six virages qui correspondent aux six forces nécessaires pour la méditation : la force de l’écoute, de la réflexion, de la mémoire et du rappel, de la vigilance, de la persévérance et de l’accoutumance.

Il y a neuf scènes ou neuf étapes sur le chemin du méditant.

1ère étape

1. Etape du placement de l’esprit : au départ, le moine a reçu les instructions pour pratiquer et il quitte le monastère. Le moine a en main le lasso et la torche. Il est précédé par le singe et l’éléphant gris qui courent devant lui. Il y a de la distance entre eux. Le feu sur le bord du chemin signifie qu’il est nécessaire d’avoir de l’énergie pour soutenir la méditation, d’autant plus que les obstacles d’agitation et de torpeur sont très présents à cette première étape du chemin.

2e étape

2.Placement continu de l’esprit : les capacités de concentration augmentent, le singe est toujours devant. Toutefois les têtes du singe et de l’éléphant commencent à blanchir : il y a moins d’agitation et d’opacité. Notons la permanence des flammes le long du sentier.

3e étape

3. Placement répété : dans cette troisième scène, le singe et l’éléphant sont toujours devant, toutefois ils tournent la tête vers le méditant. Le moine s’est rapproché. Il a attrapé au lasso l’éléphant : le contact entre le méditant et son esprit est ainsi établi. La tête de l’éléphant est devenue blanche.L’agitation diminue, la torpeur aussi, mais un lièvre est apparu sur le dos de l’éléphant. Ce lièvre illustre est une forme subtile de torpeur.

4e étape

4. Placement soutenu : le moine se rapproche encore plus de l’éléphant. Les robes du singe, de l’éléphant et du lièvre s’éclaircissent toujours. Dans cette étape on remarque sur le bord du sentier les objets qui éveillent et attirent les sens comme autant d’objets de distraction.

 

5e étape

5. La cinquième étape est celle du renversement. Le moine est en tête. Grâce au crochet et au lasso, c’est à dire grâce à l’attention et au rappel, et par la discipline de sa pratique, le méditant a dompté son esprit. Le singe est à l’arrière et tient la queue de l’éléphant : l’agitation cesse d’être un obstacle important.

 

6e étape

6. L’étape de la pacification. Le méditant est habile à diriger sa méditation. Il n’utilise plus son crochet mais le lasso demeure. La progression est aisée. Le lièvre a quitté la scène.

 

 

7e étape

7. Pacification complète de l’esprit. L’éléphant chemine sans lasso, le moine est derrière lui et n’utilise plus d’objet. Le singe aussi est derrière lui. Les flammes de l’effort ont disparu.

 

 

 

8e étape

8. Le singe s’est effacé. L’éléphant est placé derrière le moine. Sa robe est devenue complètement blanche. C’est le stade d’ekagrata, la concentration est en un seul point. L’esprit reste fixé sur l’objet de méditation sans perturbation, aussi longtemps que le méditant le souhaite.

 

 

9e étape

9. La pacification spontanée. Le moine et l’éléphant sont tous deux assis et au repos. Cela symbolise la force de l’accoutumance, l’habileté à maintenir son attention sur l’objet de méditation sans interruption. Il n’est plus d’obstacles à la méditation. C’est la dernière étape du sentier de pacification de l’esprit.

 

 

le chemin continue

Autour de la scène, on voit le moine voler, libéré. Des expériences de joie profonde, d’allégresse, de félicité peuvent se produire.

 

Toutefois, la seule pratique de Samatha ne suffit pas. C’est pour cela que le chemin change de couleur et continue. Lorsque le calme mental est obtenu, une autre pratique peut se mettre en place. Il s’agit de Vipashana (sk, lhagtong en tibétain) « la vue profonde ». Le méditant chemine à dos d’éléphant portant à la main une épée : l’épée de la connaissance. Son cœur rayonne. Il s’est retourné sur le chemin. A ce stade, les flammes font leur réapparition. La vigilance de l’esprit est utilisée pour distinguer la vraie nature des phénomènes. La pratique de Samatha et de Vipashyana est conjointe : celle du calme mental et de l’expérience d’ouverture et de clarté, elles se développent et s’enrichissent mutuellement.

Réflexions à propos de ce sentier

Cette fresque appartient à la tradition bouddhiste dans son contexte tibétain. Il s’agit d’une approche progressive. Toutefois, il existe au sein même du bouddhisme d’autres approches, qui mettent l’accent sur l’immédiateté de l’expérience, qui pointent directement vers notre vraie nature. On peut citer le Dzogchen, le Zen Japonais héritier du T’Chan chinois. Hors contexte bouddhiste le Shivaïsme du Cachemire ou le Néo-Advaita proposent ce chemin direct. Ce débat entre les deux voies est vieux comme le monde, il ne sera pas résolu ici ! Toutefois il est important pour le pratiquant de sentir si la voie qu’il a prise lui correspond avec justesse.

Vous savez à quelle sensibilité j’appartiens. Voici à présent quelques éléments de réflexion à propos de cette fresque. Il ne faut y voir aucune offense de ma part pour le magnifique chemin qu’est le bouddhisme que je connais bien.

Une représentation, quelle qu’elle soit, influence notre compréhension, notre pratique. En l’envisageant comme un chemin, d’autant que celui-ci monte, nous considérons le processus avec un début et une fin, sur un mode linéaire. Nous allons imaginer devoir franchir des étapes –« Si j’ai bien réalisé ceci alors je vais pouvoir accéder à cela »–, stimulant ainsi notre avidité. Le pratiquant peut également fuir le réel de sa vie quotidienne, surtout s’il le trouve maussade, vers un futur imaginaire et épanoui. Dans une démarche qui nous emmènerait là-bas, plus haut, plus loin, nous cherchons et nous en oublions que l’on a ainsi crée un sujet qui cherche et des objets cherchés, certes spirituels : l’éveil. Cette polarité alimente encore la dualité. Toute l’énergie est portée vers le personnage et son histoire, faisant quelque chose pour atteindre l’éveil. Faire au lieu d’Être.

De plus, légitimement, se posera la question du : « quand y arriverai-je ?» : persistance d’un temps linéaire.

Une croyance s’est ainsi forgée et l’on est persuadé que c’est « moi » qui fais quelque chose. Il est nécessaire d’aller explorer en soi pour « voir » si cette croyance est vraie. Lorsqu’elle est pleinement vue : qu’en reste-t-il ? La simplicité de la vie. Être ici, dans la saveur de l’instant, dans le senti de l’existence et dans ce lieu, il n’y a ni passé, ni futur.

Tout est parfaitement ressenti, pas là-bas, ICI.

Namasté

Annie

Je remercie Caroline pour sa pertinente relecture.

Crédit Photos: Joël Rouby, avec mes remerciements chaleureux.

 

Bibliographie

Les cours du Collège d’étude Bouddhiste que j’ai suivis durant quatre ans.